Octobre 1940, Christian
PINEAU secrétaire du syndicat des Employés de Banque CGT, et Robert LACOSTE
également syndicaliste et militant organisent au domicile de PINEAU, 52 rue de Verneuil
à Paris une réunion. Pour eux, la Résistance pourrait se grouper autour des
deux grandes centrales syndicales. Ils créent avec d'autres syndicalistes un
"Comité d'études économiques et syndicales", diffusent à toutes les
centrales syndicales un "manifeste" qui réaffirme l'attachement à la
liberté et à la démocratie.
Dès décembre 1940 un jeune résistant de
vingt deux ans, Jacques-Yves MULLIEZ, fils d'un industriel du Nord sort un
journal ronéotypé clandestin. Tiré à environ huit cents exemplaires, il est
baptisé "les Petites Ailes du Nord et du Pas-de-Calais", puis pour
une plus grande diffusion, "les Petites Ailes de France". Pour des
raisons de sécurité, "les Petites Ailes de France" disparaissent été
1941, et s'appelleront "Résistance" en zone occupée, et
"Vérités" en zone libre ( tirage, plusieurs milliers d'exemplaires ).
"Vérités" est imprimé à Villeurbanne à l'imprimerie MARTINET.
Au
printemps 1941, Christian PINEAU est nommé au Ministère du Ravitaillement de
Vichy. Prétextant des enquêtes statistiques, il peut ainsi voyager à travers
toute la France.
C'est ainsi qu'il vient à Lyon, et prend contact avec des réseaux de la zone
libre, dont un "Libération Sud". Il décide d'appeler son mouvement
"Libération Nord". C'est à cette époque que Christian PINEAU entre en
contact avec l'union Départementale des syndicats à Lyon, avec VIVIER-MERLE
secrétaire général et son équipe dont MORIER, alias LEGRAND membre du parti
socialiste et syndicaliste. VIVIER-MERLE recommande à PINEAU la maison des
GOYET dont Léon est un syndicaliste de base, et où il pourra loger en toute
sécurité lors de ses séjours à Lyon.
En
février 1942, Christian Pineau est contacté par le Colonel Rémy du BCRA
Londres. Il part le rejoindre en
mars. De retour en avril, il met en place le réseau de renseignements
"Phalanx".
Le réseau regroupe
quatre secteurs :
- Région de Lyon, responsable Goyet Louis alias Léon, son épouse Thérèse est agent de
liaison,
Louis
Goyet alias Léon
- Région du midi à Sète et Toulouse.
- Région centre, Limoge et Clermont-Ferrand.
A Vichy, un agent très précieux, membre du cabinet de Pierre Laval fournit
régulièrement des informations, mais a sa demande son nom ne sera jamais
révélé.
MORIER
Henri alias LEGRAND ou FURET, chef des opérations aériennes du réseau
"Ebène" organise les parachutages. Il se rend à Londres pour
perfectionner ses connaissances et dès 1942 travaille pour "Phalanx".
Au
printemps 1942 LOT, radio, est parachuté à "Phalanx", il est hébergé
chez les GOYET. Il émet quelquefois de la maison située au 48 de la rue Paul
Lafargue à Villeurbanne. Ancien adjudant de la Légion étrangère, il mène
joyeuse vie sans beaucoup de discrétion. Il n'hésite pas à introduire une fille
de joie dans la chambre mise à sa disposition par les Léon, et dans laquelle,
trône sur la table, le poste émetteur. Devant pareille inconscience PINEAU
intervient énergiquement pour le rappeler à plus de sérieux.
Dans la nuit du 31 aout 1942, PINEAU doit partir pour
Londres, Il se rend sur le terrain "faisan" près de Arbigny dans l'Ain où un avion doit venir le chercher. LOT craignant un mauvais rapport sur sa conduite auprès des chefs de
la France Libre fait échouer l'atterrissage du Lysander. Il dirige mal l'avion qui capote dans une tranchée.
Christian
PINEAU et le pilote qui a réussit à s'extraire reviennent à Lyon après avoir
enflammé l'avion. PINEAU donne une lettre à MORIER-LEGRAND pour un haut
fonctionnaire de la police de Lyon, membre du réseau. LOT sera arrêté trois
jours plus tard pour marché noir, il sera incarcéré à la prison St Paul. Puis libéré il
regagnera Londres via l'Espagne et sera jugé par un tribunal militaire pour
faute lourde. On n'entendra plus parler de lui.
Christian
Pineau, quant à lui sera arrêté quelques jours plus tard, ainsi que Jean CAVAILLES sur une plage dans la
région de Narbonne, le 5 septembre 1942, alors qu'ils attendent un canot qui doit les conduire à bord d'un sous-marin Anglais.
Le pilote du lysander réussit à embarquer, et rejoint sous la mer Londres.
Roger,
radio d'un autre secteur assure le remplacement de LOT, et travaille en
complément de VAR jusqu'en avril 1943. Il se fait repérer par la
"gonio" pour avoir émis trop longtemps au même endroit. Arrêté, il
est déporté et ne reviendra pas. La gestapo trouve sur lui un carnet
d'adresses. Parmis elles, celle de Madame Adrienne LOISON, soeur de Pierre
DELAYE, agent de liaison du réseau. Les Allemands vont ainsi discrètement
surveiller son domicile.
Christian
PINEAU s'évade en novembre, et en janvier 1943 il part pour Londres où il reste
jusqu'au 21 mars.
De
retour de Londres, il atterrit ce 21 mars à Melley, en Saône et Loire en
compagnie de Jean MOULIN alias MAX, alias REX, et du Général Charles
DELESTRAINT alias VIDAL.
Charles
DELESTRAINT, nommé par De GAULLE chef de l'armée secrète le 11 novembre 1942
est chargé de coordonner les mouvements d'action, et de diriger l'armée secrète
en France.
Le
27 avril 1943 arrestation de BONAMOUR du TARTRE, beau-père de Christian PINEAU.
Il assurait la direction du réseau pendant les absences de son gendre.
Christian
PINEAU, informé des raisons qui ont conduit mon père à l'incarcération, à
l'évasion, et au désir de servir son pays, le contacte par l'intermédiaire du lieutenant
radio
Pierre DELAYE. Ainsi mon père, alias POPEYE est enrôlé dans les Forces
Françaises de Grande Bretagne en qualité de "chargé de mission en
France le 1er septembre 1942" et il est chargé des liaisons avec les boites aux lettres, et poursuit son travail en usine. Mais brulé il doit être intégré à l'équipe de protection radio en adoptant la clandestinité exigée par cette fonction.. Il entre à partir
de ce jour dans la lutte active contre les occupants.
Afin
de préserver sa sécurité, et celle de toute la famille, il change d'identité,
et apprend par coeur son nouvel état civil ainsi que son curriculum. Il devient
selon les situations Camille LIEUQUAY comptable ou Louis LARAMASSE, ajusteur, durant toute la durée de la guerre sa véritable identité ne sera plus utilisée.
Le
3 mai 1943, la gestapo arrête Christian PINEAU alors qu'il se présente chez
Madame Adrienne LOISON. Il est remplacé à la tête du réseau par Fernand GANE.
agent P2 incorporé au réseau Phalanx le 1er mars 1943 chargé de mission
"TRIANGLE" sous le nom de Colonel JACQUOT, Ce dernier se révélera être un agent
double travaillant à la fois pour les services français du BCRA et pour
l'Intelligence Service. Il structure le réseau et tisse avec Londres des
contacts étroits, il organise des parachutages d'armes, explosifs, matériels de
sabotage, argent, vivres. Fin de la mission "TRIANGLE" le 15 juin 1944. GANE disparaîtra peu de temps après la
libération.
Au
cours de ce même mois de mai le 11, Pierre DELAYE émet à Loyette. Dénoncé par un habitant du village, il tente
de s'enfuir à bicyclette à l'arrivée des Allemands. Arrivé au pont de Loyette
il est abattu. Ses assassins dégusteront à coté de son cadavre une belle
omelette de vingt-huit oeufs qu'ils se sont fait cuisiner à l'auberge du
village !
Christian
PINEAU et BONAMOUR du TARTRE sont déportés à Buchenwald, Madame LOISON à
Ravensbruck.
Jean
MOULIN sera arrêté le 21 juin 1943 à Caluire, au domicile du Docteur DUGOUJON,
dont l'épouse Simone était elle même engagée en tant que secrétaire du réseau.
Il mourra sous les tortures,le 8 juillet, après une dernière confrontation avec
DELESTRAINT qui, arrêté le 9 juin, ne pourra pas remplir sa mission. Déporté,
il décédera à Dachau le 19 avril 1945. Léon ce même mois s'envole pour Londres,
et revient en Juillet.
Originaire
de Grisolles ( Tarn et Garonne )où il est né le 13 mai 1920, fils de Blaise et Noémie GARRIC et demeurant à Fort de France en Martinique, Robert BOUE, âgé de 21 ans veut contribuer à la
lutte de son pays contre l'envahisseur. En 1941, le régime de Vichy est déjà en
place à la Martinique et les premiers résistants arrêtés sont emprisonnés, sur
un bateau de la marine nationale ! Accompagné d'un ami antillais, Emmanuel
FOUCHE, sur un petit voilier Robert quitte son île.
Après
une traversée mouvementée, le petit bateau, non aménagé pour la haute mer,
rejoint avec difficultés, Sainte Lucie, petite île anglaise de l' Atlantique.
Les autorités de cette île les embarquent pour Londres.
Arrivés
à destination, après une "quarantaine" et une enquête afin de
s'assurer que ce ne sont pas des espions à la solde des allemands, ils entrent
aux Forces Françaises Libres en décembre 1941. Robert signe son acte
d'engagement le 26 janvier 1942.
Robert
veut être pilote, mais à l'issue de cette formation, lors d'une visite médicale
une malformation cardiaque est détectée, et il doit abandonner. Décidé malgré
tout à servir son pays, convaincu que sa malformation cardiaque le condamne à
brève échéance, il est volontaire pour une mission sur le sol Français. Il
reçoit une formation de radio, apprend le morse, et une nuit de novembre 1943
il est parachuté en France, dans la campagne Lyonnaise, sous le pseudonyme
"DORDOGNE". Il est hébergé chez les Goyet et devient radio de Phalanx. Son ami FOUCHE sera
également parachuté sur la France, et entrera aussi dans un réseau.
Robert Boué alias Dordogne.
Mon
père connaissant très bien Lyon et les communes environnantes a pour mission
d'assurer la protection de ce radio, ainsi que le déplacement du matériel. Pour
le transport du poste émetteur,
tâche de hauts risques en raison des fouilles fréquentes, il utilise le tramway.
Le
poste caché dans un cabas de ménagère recouvert de légumes est déposé à
l'arrière du tram, dans la partie station debout. Mon père s'installe à
l'intérieur, surveillant de loin son sac et la montée des voyageurs. En cas de
danger, il peut fuir par la descente avant, sinon à destination, il récupère
son colis. Son inséparable mitraillette "Sten" ne le quitte jamais.
Elle voyage aussi dans ce fameux sac de moleskine noire.
La majorité de ses contacts ne connaissent pas son nom, et l'appellent
"l'homme au cabas".
Monsieur
LOUIS, alias POPEYE, dit "l'homme au cabas" a aussi en charge la
recherche de fermes isolées et sûres, afin que les émissions radio avec Londres
puissent se faire avec un maximum de sécurité. L'équipe de protection du radio
se compose de trois hommes, POPEYE, LOLO, ÉTIENNE.
A gauche Claudius Lhopital alias Popeye, au centre Robert Boué alias Dordogne le radio, à droite Laurent Lenfant alias Lolo.
La
détection par des véhicules goniométriques des lieux d'émissions clandestines
par les Allemands, ne permet pas d' utiliser plusieurs fois consécutives ces
cachettes. Le risque de mettre en péril les occupants des fermes, et le réseau
tout entier en le privant du radio est trop grand pour que ces consignes de
sécurité soient transgressées. Il faut donc un certain nombre de points de
chute, et de fermiers accueillants, conscients des risques qu'ils prennent pour
leur vie et celle de leur famille.
Ils
ont été nombreux à recevoir le groupe, et à les choyer à grand renfort de
victuailles et de produits de la ferme, n'hésitant pas à tuer le cochon et
mettre en perce le meilleur fût de vin. La famille de Henri GONIN, demeurant au Château
de la Molette à Saint Victor de Cessieu en est un exemple parmi de Bonsfrançais. Ils sont
décédés depuis longtemps, l' Henri le premier, un mauvais coup de pied de
cheval, a eu raison de ce robuste paysan, sa femme "la Magno" le
rejoindra plus tard.
.
Le
château qu'un authentique Comte leur loue, se révèle être un site merveilleux,
isolé et accueillant à souhait pour émettre en relative sécurité. Après
entente, mon père décide d'une première émission.
Le
groupe arrive quelques jours plus tard, Robert installe son poste, et au moment
de travailler, cherche en vain une prise de courant. Soudain inquiet, il lève
la tête. Il n'y pas de lampe au plafond ! La maison ne possède pas
d'installation électrique! Devant la déception des résistants, la "Magno"
annonce joyeusement "ce n'est pas grave j'ai beaucoup de lampes à
pétrole" ! Effectivement, c'est à la bougie et la lampe à pétrole que se
passent les veillées. Tout est manuel ou à la force des chevaux. Le soleil
règle le début et la fin de la journée.
Afin de pouvoir quand même émettre à partir de cette ferme, Londres parachute
quelques jours plus tard un appareillage adaptable sur un vélo. Alors que
Robert émet, mon père, la roue arrière de la bicyclette sur une béquille,
pédale pour fournir l'énergie nécessaire au fonctionnement du poste émetteur
récepteur !
Pendant ce temps les autres membres du réseau postés aux abords du château
surveillent routes et chemins afin de prévenir le risque d'une visite surprise.
Comme
nous le savons, Joseph second époux de Claudia est un ancien militaire, et il
veut lui aussi contribuer à la lutte contre l'ennemi. Sa maison à l'entrée du
village est bien close, et il propose à Claudius d'y venir émettre. Joignant
l'utile à l'agréable, puisque bénéficiant d'un emplacement idéal, et pouvant
passer quelques heures avec ses parents mon père accepte.
La
commune de Cailloux sur Fontaine se situe dans un triangle formé par la route
départementale 85, reliant Lyon par Fontaine et les quais de Saône aux Echets
et la nationale 85, et la départementale 1 reliant Cailloux à Satonnay et Lyon.
La maison en bordure de la départementale 85 n'a aucune ouverture sur la
route à part un grand portail de bois plein à deux vantaux donnant sur une
remise et solidement cadenassé. A partir de cette remise, on accède à
l'appartement, à la cour, et par un escalier, à droite aux chambres du premier
étage et à gauche au grenier.
C'est dans un recoin de ce grenier, au moyen d'une antenne intérieur déployée à
chaque fois que Robert entre en
contact avec Londres. Au rez-de-chaussée, mon père et Lolo surveillent afin de
protéger et prévenir le radio qui lui ne peut voir l'extérieur, et le casque
sur les oreilles n'entend aucun bruit environnant.
Le
calme et l'ambiance familiale incitent l'équipe à renouveler les émissions, et
devant l'insistance de Joseph, la fréquence des contacts avec l'Angleterre
augmente. D'autant plus que pendant un mois, Robert assure le trafic de deux
autres réseaux, ( Ajax et Gallia ) dont les opérateurs sont hors de combat. Ce
trafic intense contrevient aux règles de sécurité, mais l'existence des réseaux
est liée à ces contacts, et Londres a besoin de renseignements.
Nous sommes en 1944, Lyon est bombardé par les alliés, la population est
souvent dans les caves et abris.
Ce 28 juin 1944 à Cailloux sur Fontaine, Claudia tricote assise dans un
fauteuil, Joseph converse avec Lolo, mon père assis près de la fenêtre de la salle
de séjour fume une pipe. Il est 15 heures, Robert au grenier commence à
recevoir et émettre.
Dans le calme de cet après-midi ensoleillé, un coup de feu éclate soudain. Avec
stupeur les trois hommes aperçoivent là, dans la cour, un officier allemand
l'arme au poing. Mon père se saisit de sa mitraillette, et à travers la fenêtre
tire. l'homme titube, fait quelques pas et va s'écrouler sur un tas de
détritus. La mitraillette est en position coup à coup, et ne tire donc pas une
rafale beaucoup plus meurtrière. Nous ne savons pas si l'homme a été tué.
A travers une large haie de ronces et orties, fermée par un barbelé, derrière
la maison, l'allemand ayant réussi à s'introduire cherchait l'accès au portail
afin de l'ouvrir. Des coups raisonnent, quelqu'un essaie de l' extérieur de
forcer les serrures de la porte donnant sur la route. Joseph monte au grenier
prévenir Robert qui n'a rien entendu, se saisissant de son arme il interrompt
son émission, abandonne son matériel et rejoint en bas ses amis.
Pensant être cernés, ils introduisent entre leur joue et la gencive une capsule de cyanure qu'ils n'auront
qu'à croquer au dernier moment, et décident de vendre chèrement leur vie. Ils
tirent plusieurs rafales de mitraillette, lancent une grenade, et à leur
stupéfaction ils entendent le bruit d'un
moteur de camion s'éloignant à toute vitesse. Les allemands peu
nombreux, pensent que la maison est pleine de "terroristes" et
repartent chercher du renfort.
Mes grands-parents, malgré l'insistance de leur fils refusent de quitter leur
maison. Le temps presse, finalement
les trois hommes partent en
utilisant champs et chemins et
regagnent Lyon.
De retour en force, les allemands fouillent la maison mais ne trouvent que
quelques pièces radio, des grenades, et
notre adresse à Lyon, rien sur le réseau. Mes grands-parents sont
arrêtés et internés le même jour au fort Montluc pour être interrogés, leur
maison est pillée, et les allemands reviendront plusieurs fois emportant à
chaque voyage bibelots, meubles et autres objets de valeur.
Mon père apprendra plus tard qu'un habitant du village, qui n'aimait pas
Joseph, instruit par des confidences de ce dernier dans le bar du village, a
commis l'irréparable. Espérant je ne sais quelle récompense, cet homme a
dénoncé à la gestapo les activités clandestines de Claudius et ses amis. Et
c'est ainsi sur l'ignoble dénonciation de ce villageois, qu'un grand nombre de
patriotes, vont souffrir et mourir.
Mes
grands parents subissent deux interrogatoires, le second avec violence. Mon
père, renseigné de ces faits, craignant pour leur vie, et aussi qu'ils ne
parlent, contacte un officier allemand responsable des détenus
Se présentant comme un ami de la famille, sympathisant de l'Allemagne, il
l'invite dans un restaurant fréquenté par les collaborateurs, et lui propose de
l'argent afin que Claudia et Joseph ne soient plus torturés. Alors que
l'officier gras et rougeaud mange avec appétit, mon père la gorge serrée et les
mains moites avale difficilement quelques bouchées. Il entend son invité dire
en acceptant le marché et la somme de 200.000 francs " les Français sont de grands sentimentaux nous tenons la mère, avec la mère nous aurons le fils"
Il tiendra néanmoins sa parole, et mes aïeux ne seront plus torturés, mais ils
quitteront la France le 23 juillet 1944
pour les camps de concentration allemand.
Je possède un petit mot manuscrit remis par mes grands parents, en gare de Dijon à un employé SNCF, daté du 23 juillet 1944 alors qu'ils étaient dans un train en direction de Drancy ou Romainville et ensuite l'Allemagne.
Dans le même convoi, Laurent LENFANT ( LoLo ), arrêté en même temps que Ernest
RICOTTI, quelques jours après Joseph et Claudia, part lui aussi pour les camps
de concentration. Sur le quai de la gare, il embrasse ma grand-mère, et cette
dernière a juste le temps de lui
confier qu'avant le retour de la Gestapo, elle a caché le poste émetteur de
Robert. Ce dernier se trouve dans la cave de la maison sous un tas de
bouteilles vides.
Son ami Ernest RICOTTI "Néness", membre du réseau aussi, sera
torturé au fort Montluc à Lyon et
fusillé à Pont-de-Dorieux commune de Châtillon d'Azergues avec 51 autres
victimes, le 19 juillet 1944, sans avoir parlé. Cet abominable massacre fut
perpétué par les Allemands de la Spécial Division, en représailles à
l'élimination de deux membres de la Gestapo exécutés à Lyon par des patriotes,
le plus jeune de ces 52 martyrs a tout juste 17 ans, le plus âgé 57.
Mais l'heure de la défaite a sonné, les troupes allemandes reculent, et Lyon
voit les fiers soldats d'hier emprunter sous la menace, vieilles voitures,
motos, vélos pour fuir au plus vite. Les Lyonnais sèment des clous sur la
chaussée. Qu'importe, ils roulent sur les jantes !
Longeant les quais, les artificiers minent les ponts afin de protéger leur
fuite en retardant les troupes alliées. C'est ainsi que le 2 septembre 1944 mes
parents, réfugiés dans la cave d'un immeuble du quai de Bondy, au pied de la
colline de Fourvière, attendent l'explosion du pont de la Feuillée enjambant la
Saône. Dans la précipitation, personne n'a pensé à prendre des bougies, et dans
le noir, l'attente qui se prolonge est lugubre. Le pont ne saute toujours pas.
Mon père se décide à sortir, pour aller de l'autre coté de la cour intérieure,
dans la cuisine du bar de Monsieur MERGEL, prendre quelques bougies.
Alors qu'il traverse, une énorme explosion retentit. Le souffle le soulève et
le projette quelques mètres plus loin. Il sent quelque chose de chaud sur sa
tête, il n'est pas inconscient, mais fortement étourdi, et ne répond pas aux
appels de sa femme et de ses amis.
Sortant de la cave, ces derniers le trouvent dans la cour, au milieu de gravats
et d'objets de toutes sortes, debout, couvert d'une épaisse poussière qui
commence à retomber, couvert de sang, grands ouverts, seuls ses yeux sont
visibles. L'effet est saisissant, et bien sûr ma mère est affolée. Sous l'effet
du souffle de l'explosion, les vitres des étages se sont brisées, et les débris
en retombant l'ont blessé à la tête. Il y a plus de peur que de mal : les
blessures du cuir chevelu saignent beaucoup, et après des soins à l'hôpital de
l'Antiquaille tout proche, l'accident bénin ne laissera que quelques
cicatrices.
Retour après soins Claudius Lhopital, M.Mergel
Puis la... LIBERATION, l'arrivée des premiers déportés rescapés des camps de la mort, les
visites aux locaux d'accueil, les questions aux arrivants, l'attente du retour
des nôtres. Le temps passe, plus personne n'arrive, et la grande tristesse
s'installe.
Comme mes parents l'appréhendaient depuis quelque temps, se rattachant malgré
tout à un fol espoir, ils font partie des 605000 Français, morts ou assassinés
au cours de cette guerre.
Ma grand-mère, est internée le 3 août 1944 au camp de Ravensbruck près de
Berlin. Sourde, elle n'entend pas les appels et diverses consignes, son sort
est rapidement règlé, elle est dirigée vers les "douches", et à la place
d'eau le gaz mortel ! puis l'incinération.
Joseph son mari, déporté à Neuengamme, à coté de Hambourg, sera noyé, avec une
centaine de compagnons, enfermés à fond de cale dans une péniche que les
Allemands sabordent dans l'estuaire de l'Elbe, à Sand Bostel, le 29 avril 1945.
Avant de disparaître à jamais Joseph a pu observer sur l'autre rive, les
troupes alliées qui commencent à arriver.
De retour de déportation en mai 1945, Lolo confirme la mort de Joseph. Ils
étaient ensemble, condamnés au même supplice. Lolo doit la vie aux soldats
Russes qui avancent. Les bourreaux
nazis les abandonnent sur la berge, espérant dans la fuite sauver leur
misérable vie. Selon ses indications nous retrouverons le poste de Robert que
je possède toujours, dans sa valise d'origine.
A la libération, ayant identifié l'individu coupable de la dénonciation de mes
grands parents, et de leur mort, mon père décide de son élimination. Après une
petite enquête, il s'avéra que ce dernier agonisait d'un cancer. Il mourut très
rapidement. Qu'il repose, mais jamais en paix !
Toute sa vie mon père portera en lui le remords d'avoir été indirectement
responsable de la disparition de ses parents. Fréquemment, lors d'évocations de
cette période, son visage soudain changeait, et le silence qui suivait, était
plus parlant, que les mots qu'il aurait pu prononcer.
A Cailloux sur Fontaine, sur la place, le monument aux morts des deux guerres,
porte gravés dans la pierre les noms de Claudia NOVE et Joseph SERVANT, victimes
innocentes de la folie de deux hommes, le dénonciateur, et Adolphe Hitler.
Le cruel destin a voulu que la première guerre mondiale prive Claudius de son
père, et que la seconde lui prenne sa mère et son beau père.
Réintégré après l'armistice au 4eme Génie de Grenoble le 30 mai 1945, mon père
demande sa démobilisation malgré l'insistance de ses chefs pour qu'il fasse
carrière. Il a déjà le grade de lieutenant. Outre la vie militaire qu'il
apprécie peu, la pratique de l'équitation à laquelle en temps qu’officier il
doit s'adonner, et dont il a une sainte horreur, le conforte dans sa décision,
il quitte l'armée le 27 juillet de cette même année 1945.
Le 12 septembre, sa
condamnation est annulée, son bulletin n°1 du casier judiciaire retiré, et
l'amende qu'il avait payée lui est restituée ainsi que les frais de justice
qu'il avait déboursés.
Le 2 novembre, il reprend ses fonctions aux chemins de fer, avec effets
rétroactifs de la période de guerre, comme chauffeur sur locomotives à vapeur,
mais avec l'abandon de la vapeur au profit de l'électricité, il retourne à
l'école ! Et après plusieurs mois d'études et un examen, il termine sa carrière
conducteur sur traction électrique.
En 1961, c’est la retraite, et mes parents quittent Lyon ou plus exactement
Ecully où depuis 1951 la famille réside.
Ils vont s'établir à St Elme dans la maison de ma grand-mère maternelle.
Cette même maison où trente ans auparavant Claudius passait ses vacances et
tombait amoureux de la fille de ses hôtes. En prévision de cet emménagement, ma
grand-mère a modifié la disposition, et ainsi le premier étage représentant la
part d'héritage de ma mère, devient leur résidence. A cinquante ans, c'est
encore la jeunesse ! le jardin devient verdoyant, l'appartement très confortable,
et l'acquisition d'un bateau va transformer Popeye le cheminot en Popeye le
pécheur.
Doté d'une grande patience , passant régulièrement plus de huit heures en mer,
le poisson non seulement agrémente les repas, mais régale aussi de nombreux
amis. Ma mère parfois souhaitant qu'il rentre bredouille, tant la corvée
d'écaillage et vidage du poisson, répétitive chaque jour, commence à être
lassante.
Les pécheurs professionnels bien que ne pratiquant pas le même type de pêche,
le jalousent, le surveillent, et s'ils le peuvent, arrivent avant lui sur les
lieux afin de lui prendre la place et "caler" leurs filets à
l’emplacement qu’il occupait la veille.
La vie s'écoule tranquillement au fil des saisons, la pêche, la sieste
l'après-midi à l'ombre des mimosas, les vacances d'été où la maison est pleine,
d'enfants, de petits enfants et d'amis. En automne; escapade à Lyon, retour aux
sources, cure de beaujolais et spécialités lyonnaise, visite aux amis, et à ma
grande tante, soeur de Claudia âgée aujourd'hui de quatre-vingt quatorze ans (
décédée 1996 ).
Robert a installé à Troyes une parfumerie salon de massage qu'il exploite avec
sa femme Janine. Ils quitteront l'Aube en 1972 pour se fixer à Estantens, près
de Toulouse.
Septembre 1989; glissade sur la chaussée, mon père est hospitalisé pour une
fracture du col du fémur, il ne se rétablit pas, en décembre, nous apprenons
qu'il est condamné, cancer du poumon et tumeur au cerveau, il perd progressivement
l'usage de la parole, ne peut plus écrire, et se déplace avec difficulté.
Robert souffre de sa malformation cardiaque. Une opération est indispensable.
Il refuse et décède le 8 mars 1990 dans sa 69eme année. Son vieux complice Popeye
ne le saura pas, et après une agonie d'un mois et demi, il meurt le 29 mai de
cette même année, à 78 ans, dans son lit, accompagné jusqu'à la fin par son
épouse Clémence. Selon sa volonté il est incinéré à Vidauban le 31 mai, et ses
cendres sont dispersées.
- TREBOUX Mâcon.
- SCHMERBERG "
- MLADENOVICH "
- PERRIN "
- ASTIER Briançon
- NULLEX Villefranche
sur Saône
- COCHET Aix
les Bains
- COCHET Chasse
sur Rhône.
- RERY Lyon
Vaise.
A cette liste certainement incomplète, de
nombreux anonymes qui contribuaient de près ou de loin à l'activité du réseau.
Photo d'une partie des 52 fusillés de Chatillon d'Azergues.
Photo d'Ernest Ricotti
" ...Battus, brûlés, aveuglés,
rompus, la plupart des résistants n'ont pas parlé ; ils ont brisé le cercle du
mal et réaffirmé l'humain pour eux, pour nous, pour leurs tortionnaires
même".
J.-P. Sartre
Si des personnes se reconnaissent ou connaissent des personnages de cette
liste, je serais très heureux d'entrer en contact avec elles, afin d'apporter
d'éventuels compléments.
Montsuzain
1996-2002
Vous
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